Allez, un épisode qui m'est arrivé il y a trois ans maintenant...
[large]Théâtre masturbatoire[/large]
1er tableau
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Une classe de seconde en salle vidéo avec leur professeur de français.
Les élèves avaient eu pour consigne de lire chez eux la tragi-comédie de Corneille, Le Cid, et ils allaient en voir une mise en scène moderne – excellente représentation flamenco pour mettre en valeur le côté hispanique et très comique avec le personnage du roi représenté comme une vieille « folle ».
L’affiche, très esthétique, avait fait polémique car elle représente Chimène nue (uniquement la silhouette) qui s’apprête à tuer Rodrigue si bien que des professeurs pudibonds, outrés et scandalisés par cette affiche lubrique, avaient annulé leur sortie au théâtre avec leur classe. D’ailleurs le metteur en scène l’explique dans la cassette. Cette affiche est reproduite sur le boîtier, aussi le professeur le fait-il circuler alors que la pièce commence.
La salle est plongée dans la pénombre, les élèves, silencieux, regardent l’écran tandis que l’affiche passe de main en main. Tout semble dans le calme le plus profond quand brusquement, l’instinct du professeur est alerté par une brutale montée hormonale dans la salle. Elle tourne la tête et voit Jean, un cancre très sympathique, mimant une masturbation au centre de la jubilation gaillarde de ses voisins. Sous le regard brûlant du professeur, Jean lève les yeux et devient cramoisi…[/justify]
LE PROFESSEUR
avec un grand sourire en essayant de garder son sérieux : - Jean ! 4 heures de colle.
JEAN
toujours écarlate : - …
Toute la classe regarde alternativement Jean et le professeur. Ceux qui savent se demandant si l’orage va tomber violemment, les autres s’interrogeant sur la brutalité de cette sentence.
LE PROFESSEUR : - Regardez l’écran et taisez-vous.
2ème tableau
Le professeur est en Vie Scolaire pour préparer le billet de colle. Moment intense de réflexion.
LE PROFESSEUR
en monologue intérieur : Je serais en droit de mettre en branle (sic !) toute la hiérarchie face à un tel comportement et d’ailleurs j’en ai même le devoir en tant que professeur respectable (re-sic !) et adulte référent (pfff !). Si je préviens la hiérarchie il va sans doute y avoir convocation des parents voire conseil de discipline et à la clé l’exclusion de Jean pour plusieurs jours avec travail sur la citoyenneté (blablabla…) – le pauvre, c’est mortel. Tout cela pour le geste irréfléchi d’un adolescent sous influence hormonale incontrôlée. Le faire m’ennuie profondément car c’était plutôt comique et sans conséquence. Si je ne le fais pas ne vais-je pas manquer à tous mes devoirs et les élèves risquent de … bah que risquent-ils ? Je suis loin de toute cette pudibonderie judéo-chrétienne qui m’exaspère ; mince je passe mon temps à dire que la littérature n’est pas morale, assez de cette « bien-pensance » qui m’exaspère…
Allez, les quatre heures de colle suffiront amplement. Maintenant il s’agit de trouver un intitulé qui n’interpelle pas les CPE (je ne sais pas s’ils relisent les billets de colle avant qu’ils soient envoyés chez les parents), qui reste flou tout en étant clair.
Le professeur tient son stylo et réfléchit quelques instants avant de se mettre à écrire : Jean a eu une attitude contraire aux bonnes mœurs durant le cours de français.
Elle sourit, contente de sa formule…
3ème tableau
Deux jours plus tard, cours de français avec cette classe de seconde. Premier cours depuis « l’incident ». Il est évident que le « pourquoi du comment » a dû se propager parmi eux. Le cours se déroule normalement puis brutalement un élève lève une main.
UN ELEVE : - Vous avez collé Jean parce qu’il faisait semblant de se masturber ?
LE PROFESSEUR : - Oui. C’est normal non ? ce n’est pas une attitude à avoir en classe.
Mouvement dans la salle avec quelques rires.
JEAN : - Oh, s’il vous plaît Madame, soyez indulgente, quatre heures c’est long
LE PROFESSEUR : - Tu ne vas pas te plaindre, tu vas être seul durant quatre heures. Toi qui apprécies – semble-t-il – les plaisirs solitaires tu devrais être content.
JEAN : - …
Un ange passe, les élèves sont pliés de rire. Il reprend contenance et tente de nouveau sa chance.Mais Madame, je faisais semblant, je n’avais rien sorti !
LE PROFESSEUR : - ah ! encore heureux que tu n’aies pas sorti tout ton matériel sur la table ! Quel spectacle…
S’adressant à l’ensemble de la classe. Quel grand comique ce Jean ! vous imaginez la scène…
JEAN,
écarlate mais essayant encore : - Mais Madame, ne dîtes pas que vous n’avez jamais fait cela en classe quand vous étiez élève ?
LE PROFESSEUR : - Impossible, je ne suis pas équipée pour…
Et là, c’en est fini pour Jean qui s’avoue vaincu par K.O. tandis que la classe est hilare, le professeur avec. Il faudra quelques minutes avant que le cours sur le théâtre classique puisse reprendre.
4ème tableau
La semaine suivante, le professeur et Jean.
LE PROFESSEUR : - Tes parents ont-ils reçu le billet de colle ?
JEAN : - Oui
LE PROFESSEUR : - Comment ont-ils réagi ?
JEAN : - J’ai dû expliquer ce que j’ai fait
LE PROFESSEUR : - Et ?
JEAN : - Aïe ! Aïe !
LE PROFESSEUR : - Tu recommenceras ?
JEAN : - Ah non ! jamais en cours !
5ème tableau
Deux ans plus tard, une autre classe de seconde.
LOUIS : - Madame, nous lirons
Le Cid ?
LE PROFESSEUR : - Non, ce n’est pas prévu cette année, vous aurez une autre pièce. Pourquoi ?
LOUIS : - Vous vous rappelez de Jean, il y a deux ans ?
LE PROFESSEUR : - bien sûr. (
Ils se croisent régulièrement dans les couloirs et les salutations d’usage sont toujours suivies d’un sourire entendu…)
LOUIS : - il paraît que vous l’avez collé quatre heures pour…
les mots ne sortent pas
LE PROFESSEUR : - Eh oui ! comment sais-tu cela ?
LOUIS : - Il est avec nous à l’internat ! Il nous a raconté quand il a su que vous étiez notre professeur de français.
LE PROFESSEUR : - Ah… Alors travaillez plus que lui. (
Jean a redoublé sa seconde)
UN ELEVE : Qu’est-ce qui c’était passé ? pourquoi vous l’aviez collé quatre heures ?
LE PROFESSEUR : Parce qu’il avait fait une simulation de masturbation en classe.
UN ELEVE : - …
Et toute la classe de rire.
Vous avez vu, rien de bien indécent là dedans mais qu'est-ce qu'on a ri et je ne vous dis pas quand j'ai raconté l'histoire aux collègues - enfin pas à tous, les potes pas coincés... on se raconte toujours nos bons mots en salle des prof, de vrais potaches
Un élève aurait fait la même chose au cinéma l'an passé, la collègue a été scandalisée, a fait rapport etc. bref... sans commentaire
Ce qui m'amuse toujours c'est la réaction des ado face aux mots. Ils n'arrivent pas à appeler un chat un chat. Enfin, en général après une année avec moi, ils y arrivent et ils ont acquis du vocabulaire :P ça fait un peu thérapie de groupe comme dirait une collègue...