Tout avait commencé dans la semaine, insidieusement, quand je demandai à B., charmant garçon – quelque peu fumiste – de 1ère, pourquoi il ne m’avait pas rendu son D.M. avant les vacances. « Je l’ai oublié chez ma copine, me déclara-t-il benoîtement. » Que diable pouvait bien faire ce devoir chez sa copine ? :grat: Il l’aurait fait chez elle… A cette réponse fort innocente je ne pus retenir ma réplique : « N’as-tu rien de plus intéressant à faire chez ta copine qu’un devoir de français ? » Evidemment, l’ambiance du cours se trouva aussitôt très détendue
et c’est un euphémisme. Heureusement que je contins – à grand peine – la fin de ma pensée : Est-ce que j’emmène mes copies chez mes amants ? :eheh: Bref, j’ai parfois quelque mal à tenir mon rôle d’adulte sérieux, c’est vrai quoi, je suis le professeur !
Après un tel début, il fallait bien que le festival continue…
Ce vendredi matin, on achève l’étude de la scène d’exposition de
Tartuffe (vous savez, celui qui dit : ""Cachez ce sein que je ne saurais voir"" mais aussi ""Pour être dévot je n'en suis pas moins homme""). Bien sûr la moitié de mes têtes de linottes a oublié son livre dont B. et je ne peux résister à la tentation : « L’aurais-tu oublié sur la table de nuit de ta copine ? »
et au voisin qui sommeille à demi-écroulé sur sa chaise : « il faut aussi dormir la nuit… » Je sais, c'est pas sérieux de ma part ; mais parfois je n'arrive pas à garder mon rôle de tortionnaire coincé
Puis travail sur la scène d’exposition de
Phèdre de Racine. Rien de plus barbant pour l’élève moyen que ce début de tragédie classique en alexandrins et langue du XVIIe siècle d’autant que la beauté du texte est rarement visible pour l’adolescent de 18 ans.
Il s’agit donc de réveiller mes bigorneaux avec la mythologie grecque : sexe et sang garantis, le diptyque qui plaît toujours ! :P
Thésée, bel héros grec, grand séducteur devant les dieux qui parvint même à séduire la reine des Amazones, la sublime Antiope, au point qu’elle oublia de le tuer. Et mes élèves d’apprendre que les amazones tuaient les mâles avec qui elles faisaient l’amour. :yes:
La suite de l’épisode est renvoyé à la pire heure de la semaine : le vendredi de 16h30 à 17h30 pour cause de cantine…
Mes élèves reviennent passablement énervés – au compte goutte – et d humeur fort joyeuse ce qui a une incidence sur la mienne, je pressens que la concentration va être rude pour tout le monde, moi y compris.
Avant même d’entamer les amours de Thésée je punis une élève qui rumine indiscrètement devant moi : le verbe « ouïr » à tous les temps tous les modes pour le prochain cours. B. qui n’écoutait que d’une oreille se réveille brusquement : Ah ! le verbe jouir ? » (Vous remarquerez que je n’y étais pour rien - pour une fois
) non, lui dis-je faussement choquée, ouïr !
Comme c'est beau la mythologie grecque… Phèdre, fille de Minos et de Pasiphaé, fille de la belle Crète. Au fait, comment appelle-t-on les habitant de la Crète ? oui, les crétois et pas les crétins… à ne pas confondre. :rolleyes:
Les femmes de la famille de Phèdre sont condamnées à des amours monstrueuses. Le Minotaure est le demi-frère de Phèdre, issu de la copulation entre Pasiphaé et un taureau :arg: – Ah les réactions épouvantées des élèves ! :oh:
Thésée arrive pour tuer le monstre caché dans son labyrinthe. Ce beau mâle débarque de son bateau et séduit la magnifique Ariane (sœur de Phèdre) qui l’aide à ressortir du piège avec son célèbre fil. Mais Thésée a trouvé que sa sœur était bien plus charmante et, le sale type, l’abandonne sur un rocher et part avec Phèdre… Thésée tout à ses amours impétueuses avec Phèdre oublie à son retour de hisser une voile blanche et son père Egée de croire que son fils a trépassé et se jette dans la mer qui devient la mer Egée… fils indigne !
Phèdre réussit le tour de force de rendre Thésée fidèle… Quelle femme !
De son mariage avec Antiope est né un beau garçon : Hippolyte qui signifie « celui qui dresse les chevaux » Ce bel éphèbe n’aime pas les femmes. Non ! je n’ai pas dit qu’il était homosexuel – même s’il est grec – il ne s’intéresse pas à l’amour.
- comment appelle-t-on quelqu’un qui n’aime pas l’amour ?
- un idiot, dis-je (ben, c’est vrai quoi ! :eheh: )
Le temps passe et Phèdre tombe amoureuse du jeune homme et alors que l’on croit Thésée mort au loin, elle avoue son sentiment incestueux à Hippolyte qui est horrifié. Or, Thésée revient, bien vivant (c'est normal, il faut son lot de péripéties). Phèdre éperdue déclare à son mari que Hippolyte a tenté de la violer – oh la menteuse ! - Thésée, père implacable lance une malédiction sur son fils qui est massacré par un monstre marin. Phèdre s’empoisonne et avoue son mensonge. Pfff ! :cry:
Calme-toi sinon je vais te donner un verbe !
- Oh oui ! Jouir dit B.
- Le désires-tu vraiment ? et là les élèves sont hilares, je suis morte de rire et je sais que le cours est dorénavant irrattrapable.
Je poursuis pourtant. « Répondez à la question et je m’installe par derrière… – parfois on ferait mieux de se taire car là, c’est le bouquet… mes élèves sont des pervers ! car je voulais juste ne plus voir les élèves de face pour pouvoir reprendre mon sérieux.
On continue cahin-caha. Je distribue deux verbes à une élève qui s’est exclamée « putain ! » : moudre et pouvoir… « que je pute » s’amuse un garçon… bref, c’est vraiment impossible cette heure. Heureusement que j’ai évité le verbe savoir car à l’imparfait du subjonctif cela donne : « que je susse »
- Dites, madame c’est quoi le verbe le plus long ?
- Ce n’est pas la longueur le plus important répliquai-je ingénuement… Aïe ! Aïe ! je vous laisse deviner la réplique de B. qui était vraiment dans une forme olympique !
Et voici comment le professeur de français passe pour une obsédée…
Je finis par leur dire qu’ils faisaient la neige comme les enfants… (prévue par la météo pour ce week-end et je ne me suis pas trompée)
- il va falloir faire un vœu alors dit B.
- ????
- Ben oui, il faut faire un vœu pour la première neige !
- ????
Finalement, parfois on laisse sortir les élèves plus tôt, même si on n’a pas le droit… :heu: